Veille bibliographique

Veille bibliographique

La recherche sur les abeilles sauvages est en plein essor. Chaque semaine, plusieurs études scientifiques sont publiées sur la systématique ou la biologie de ces insectes, en passant par leur conservation. Cette page regroupe de courtes notes pour présenter quelques-unes de ces études.

 


28 Janvier 2019

Nouvelle classification des Apidae

La classification des organismes est un sport international depuis les travaux de Linné, en 1758, et la dernière performance nous vient d’une équipe américaine. A l’époque Linné cherchait à retrouver l’empreinte du divin derrière l’organisation apparente de la diversité du vivant. Darwin a cependant permis de trouver un critère un peu plus objectif : la parenté des organismes. La classification évolue donc actuellement avec nos connaissances de la phylogénie des organismes, et celle des Apidae vient de faire un bond en avant.
(1) Silas Bossert et ses collègues de Cornell University ont combiné des données de génomes et de transcriptomes (à partir d’ARN, donc l’ADN exprimé dans les cellules) pour reconstruire les relations entre 79 espèces d’Apidae. Ils ont ainsi récupéré un jeu de données massif (entre 80 000 et 300 000 caractères) pour ces quelques représentants des 22 tribus dans la famille. Leurs résultats montrent que la sous-famille appelée « Apinae » par Michener comprend plusieurs lignées et ne serait donc pas un groupe naturel. En effet, les 12 taxons d’Eucères (et genres apparentés) forment une lignée à part, plus proche des Xylocopinae que des autres Apinae. De même, les 4 Anthophores sont un groupe-frère de la sous-famille des cleptoparasites Nomadinae. Deux nouvelles sous-familles sont donc reconnues : les Eucerinae et les Anthophorinae. De plus, les Nomadinae regroupent maintenant quasiment tous les genres cleptoparasites, à l’exception des Ctenoplectrina et des espèces d’Euglosses cleptoparasites (parmi les Aglae et les Exaerete). La classification de la famille est donc modifiée… jusqu’à la prochaine étude.

Article original :
(1) Bossert, S., Murray, E.A., Almeida, E.A., Brady, S.G., Blaimer, B.B. and Danforth, B.N., 2019. Combining transcriptomes and ultraconserved elements to illuminate the phylogeny of Apidae. Molecular phylogenetics and evolution, 130, pp.121-131. https://doi.org/10.1016/j.ympev.2018.10.012


26 Janvier 2019

Nouvelles Collètes et Andrènes

L’année commence bien pour la diversité des abeilles sauvages : deux espèces nouvelles pour la science ont été décrite dans deux études récentes, une Andrena du groupe bicolor et une Colletes du groupe albomaculatus
(1) Dans une révision des Andrènes des alpes, Chrisophe Praz, Andréas Müller et David Genoud décortiquent la diversité du groupe bicolor d’Andrena des Alpes, incluant la répandue A. bicolor (Fabricius), et les deux espèces A. montana Warncke et A. allosa Warncke dont le statut était débattu. Par une combinaison d’analyses d’ADN mitochondrial et nucléaire, et de critères morphologiques et géographiques, les auteurs ont mis en évidence une forte diversité pour des spécimens se rapprochant d’Andrena allosa. Malgré un signal génétique assez flou, les auteurs ont pu délimiter deux taxons distincts en s’aidant de la morphologie et de la géographie : A. allosa et une nouvelle espèce nommée Andrena amieti. D’un autre côté, la monophylie d’Andrena montana est confirmée par leur analyse. L’étude révèle aussi de potentiels nouveaux taxons en Europe du sud-est, laissant suggérer que malgré ce travail approfondi, il reste encore des choses à découvrir et à clarifier au sein du groupe d’espèces d’Andrena bicolor en Europe.
(2) Michael Kuhlmann décrit dans une courte note une nouvelle collète, Colletes jansmiti, sur la base d’une femelle collectée en Espagne par Jan Smit. L’espèce appartient au groupe Colletes albomaculatus. Ce groupe rassemblait jusque-là 4 espèces : Colletes albomaculatus (Lucas), C. alfkeni Noskiewvicz, C. dorsalis Morawitz et C. punctatus Mocsary. La petite nouvelle se rapproche de l’espèce C. alfkeni, dont elle se distingue par la ponctuation du T1, et par sa distribution, C. alfkeni n’étant connue que de méditerranée orientale. La note comprend une clé illustrée permettant de distinguer les 5 espèces.

Articles originaux :
(1) (1) Praz, C., Müller, A., Genoud, D., 2019. Hidden diversity in European bees: Andrena amieti sp. n., a new Alpine bee species related to Andrena bicolor (Fabricius, 1775) (Hymenoptera, Apoidea, Andrenidae). Alpine Entomology 3: 11-38. doi: 10.3897/alpento.3.29675
(2) Kuhlmann, M. and Smit, J. 2018. Description of a new bee species from Spain, Colletes jansmiti KUHLMANN nov. sp., with a key to the females of the C. albomaculatus-group (Hymenoptera: Colletidae). Linzer biol. Beitr. 50: 1249-1254. Kuhlmann-Smit-2018-Colletes-jansmiti


4 Janvier 2019

Attention, fleur piégée

Certains prédateurs d’abeilles chassent à l’affût sur les fleurs, une stratégie qui paraît sensée, connaissant le potentiel attractif de ces dernières pour les pollinisateurs. Mais quel est l’impact de cette activité sur les visites des abeilles ? Le mois dernier, deux équipes d’outre-atlantique ont publié sur le sujet :
(1) Francismeire Telles et ses collaborateurs ont étudié comment une araignée-crabe (Misumenops) affectait la pollinisation d’une Fabacée en comparant le comportement de trois Apidae (une Trigona, sociale, et deux Xylocopa) lors de leurs visites de fleurs avec ou sans araignée. En suivant 42 paires de fleurs, ils ont trouvé que les Trigona se posaient moins souvent sur les fleurs avec prédateur et, le cas échéant, y restaient moins longtemps. Les Xylocopes, eux, ne modifiaient pas leur comportement, mais aucune attaque n’a été observée. Sans doute un effet de taille de proie. Le succès reproducteur des fleurs occupées n’était pas non plus affecté par la présence de prédateur.
(2) Une étude ayant montré que les abeilles domestiques visitaient moins les fleurs occupées par la punaise Phymata americana, Collin Schwantes et ses collègues ont souhaité savoir si une espèce solitaire oligolectique réagissait aussi à la présence de ce prédateur. Ils ont étudié la visite de Melissodes agilis (Eucerini) sur des tournesols en présence ou absence de la punaise en filmant chaque fleur pendant 3 jours. Ils ont ainsi montré que les mâles comme les femelles de Melissodes visitaient sans distinction les fleurs avec ou sans prédateur, et ont observé des tendances similaires pour d’autres genres d’abeilles. Ils ont aussi pu observer que les punaises n’étaient pas de grandes prédatrices, une seule abeille s’étant faite attaquée sur 360 opportunités. La différence de réponse avec l’abeille domestique pourrait donc être lié à la différence de biologie des abeilles, mais aussi au contexte floral et au faible risque d’attaque.

Articles originaux :
(1) Schwantes, C.J., Carper, A.L. and Bowers, M.D., 2018. Solitary Floral Specialists Do Not Respond to Cryptic Flower-Occupying Predators. Journal of Insect Behavior, pp.1-14. https://doi.org/10.1007/s10905-018-9706-9
(2) Telles, F.J., Gonzálvez, F.G., Rodríguez-Gironés, M.A. and Freitas, L., 2018. The effect of a flower-dwelling predator on a specialized pollination system. Biological Journal of the Linnean Society. https://doi.org/10.1093/biolinnean/bly184


18 décembre 2018

Tout ça pour des fraises

Depuis quelque temps commence à émerger une prise de conscience de l’effet des pollinisateurs introduits en masse dans les  zones agricoles sur les pollinisateurs sauvages locaux. Jusqu’à présent, les études se sont principalement concentrées sur la fameuse abeille domestique, Apis mellifera. Cependant, d’autres espèces comme le bourdon terrestre sont aussi introduites dans les champs, notamment pour les cultures précoces dans l’année, ou en tunnel, comme la fraise.
(1) En Espagne, Alejandro Trillo et ses collègues se sont donc demandés si ces colonies de bourdons, moins populeuses que les ruches d’abeilles, avaient quand même un impact sur les pollinisateurs sauvages. Pour ce faire, ils ont étudié les bourdons des pinèdes de la vallée de Guadalquivir, où la production de fraises bat son plein en hiver. Ils ont suivi pendant 2 ans 19 sites de 250m² dans la vallée, de janvier à avril. Ils ont collecté les bourdons agricoles (Bombus terrestris terrestris ou B.t. dalmatinus), introduits pour les fraises, et ceux de la sous-espèce locale Bombus t. lusitanicus. Et ils ont trouvé… qu’il n’y avait pas beaucoup de bourdons dans les pinèdes. Ils ont quand même observé une tendance : plus il y avait de tunnels à fraises dans un rayon de 2km autour du site, et moins il y avait de B. t.  lusitanicus, et plus de bourdons agricoles. Sauf que ces tendances ne sont statistiquement significatives qu’au seuil de 10%, et non au seuil traditionnel des 5%. Ils imputent cette faiblesse au manque de données (120 bourdons agricoles contre 28 bourdons sauvages observés en 587h de transects). Les auteurs concluent tout de même que les bourdons introduits ne restent pas sagement dans leurs champs de fraises.
Si leur étude n’a pas la bénédiction des statisticiens, elle a le bénéfice d’attirer l’attention sur l’impact potentiel des pollinisateurs agricoles autres que l’abeille domestique sur la faune locale et appelle à se pencher sérieusement sur la question.

Article original :
(1) Trillo et al. 2019 : Contrasting occurrence patterns of managed and native bumblebees in natural habitats across a greenhouse landscape gradient.Agriculture, Ecosystems and Environment272 (2019) 230–236.
https://doi.org/10.1016/j.agee.2018.11.018


10 décembre 2018

Crise du logement

La destruction des habitats par l’activité humaine est l’une des causes majeures invoquées pour expliquer le déclin des pollinisateurs sauvages. La semaine dernière, deux études ajoutent leurs résultats à la pile des preuves qui s’accumulent sur le sujet.
(1) En Irlande, Fiach Byrne et Javier delBarco-Trillo ont étudié l’abondance des bourdons (Bombus spp.) dans 60 sites contenant des haies et des prairies entretenues (comprenez régulièrement tondues, mais non traitées aux pesticides) ou non. Ils n’ont pas observé de différence entre la diversité des fleurs selon les types de gestion des sites, en revanche, ils ont observé un déclin significatif de l’abondance des bourdons selon la fréquence de coupe au niveau des haies et des prairies.
(2) En Allemagne, Constanze Buhk et ses collaborateurs se sont penchés sur les pratiques agricoles. Pendant 5 ans, ils ont suivi 2 sites, chacun avec 50 hectares de champs « traditionnels » et 50 hectares de champs aménagés d’un réseau de bandes florales diversifiées couvrant environ 5 hectares. Ils ont ainsi pu noter l’impact de ces aménagements sur la diversité des pollinisateurs, abeilles et papillons : dès la seconde année, la diversité des pollinisateurs avait augmenté de 3 à 5 fois. En revanche, la diversité des abeilles oligolectiques n’a augmenté significativement qu’à partir de la troisième année, et l’abeille la plus rare de l’échantillon, Anthidium septemspinosum, n’a été collectée que la dernière année. Les auteurs en concluent qu’il est important, dans l’aménagement d’aires agricoles, de dédier une surface sur plusieurs années qui puisse servir de refuge à long terme, même si cette surface est fractionnée.

Articles originaux :
(1) Byrne & delBarco Trillo 2018 : The effect of management practices on bumblebee densities in hedgerow and grassland habitats.
https://doi.org/10.1016/j.baae.2018.11.004
(2) Buhk et al. 2018 :Flower strip networks ofer promising long term effects on pollinator species richness in intensively cultivated agricultural areas.
https://doi.org/10.1186/s12898-018-0210-z

 

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